Parasha Haazinou, le vendredi 21septembre 2018 (soir)
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Après Yom Kippour, nous revoilà à lire, à relire, la parasha Haazinou. Plus justement : nous revoilà à re-chanter Haazinou. Non, ça n’est pas tout à fait cela encore : des enfants seraient de nouveau là pour nous chanter Haazinou … Car c’est là l’exigence de l’Eternel. Il avait dit à Moise et à Josué dans la parasha précédente :
« Et maintenant, écrivez pour vous ce chant (hashira hazot) et enseigne-le [toi, Moise, avant ta mort] aux enfants d’Israël ; mets-le dans leur bouche afin que ce chant soit pour vous un témoin léed bivney yisrael. »
Les enfants des bney yisrael auront dans leur bouche un chant dicté par l’Eternel à Moise et à Josué pour qu’il soit un témoin en faveur, en direction (léed) des bney yisrael. Il n’y aura que la voix des enfants dans ce chant pour témoigner pour eux, au moment où l’Eternel se fera colère car son peuple se sera détourné, alors qu’il l’aura bien engraissé, pour frayer avec des divinités étrangères.
Il est question que Moise et Josué écrivent ce chant. Mais qu’est-ce qu’écrire un chant ? Est-ce en priorité la notation de la mélodie pour y inscrire des paroles ? Ou : des paroles musicalisées ? Il est certain là, qu’au moment où la Torah, qu’au moment où l’histoire de Moise touche à sa terminaison, et non à sa fin – la terminaison justement, comme en orthographe, autrement dit les dernières lettres – il est certain que le souci soit d’une voix autre, celle des enfants … et de la musicalité qui donnera lieu à son extension à toute la Torah, du fait des Taamim. L’Eternel nous dit : Il y a un taam que j’aime en particulier, avant tout autre : c’est la voix (le qol) des enfants. Pourquoi ? Peut-être parce qu’il n’est pas encore granuleux, frisant l’enraiement. Roland Barthes parle d’un grain de la voix pour dire la singularité vocale, érotisable, de chacun (Roland Barthes, Le grain de la voix). Dans la voix enfantine, l’Eternel aime que le sable ne soit pas encore advenu dans la voix (ce qui se spécifie en genre du fait de la mue, par exemple) et rêve, met tous ses espoirs en la liquidité, en un bruissement clair de la source. Il nous faudra donc nous, adultes, pas toujours musiciens, recevoir, encaisser les paroles terribles de Haazinou, par le biais de voix désarmantes : celles des enfants. Il n’y aurait que cela pour nous dessaisir de nos surdités, de nos entêtements, de nos caractères.
Le chant Haazinou, où c’est tantôt Moise qui parle et tantôt l’Eternel, est porté, proféré par la voix des enfants. L’Eternel et le prophète trouvent leur véritable place, vie (pour éviter le mot « incarnation »), témoignage, dans la voix enfantine. Et c’est tellement beau, tellement humble et fragile ! Tellement désespéré aussi de l’adulte … mais pour un espoir, pour une éternité d’espoir. De vous, adultes chevronnés, nous disent l’Eternel et Moise, nous n’attendons rien que de très prévisible : tout ce dont nous avons de vous l’habitude. Inutile de ressortir les archives ! On pourrait dire que l’après-coup de Kippour est Haazinou.
Alors prenons quelques passages, passages musicaux clefs, du chant Haazinou, et surtout imaginons-les, entendons-les chantés par la voix des enfants.
« Est-ce envers l’Eternel que vous agirez ainsi, peuple insensé et sans sagesse ? N’est-Il pas ton Père, ton acquéreur ? »
Que des enfants nous rappellent à la sagesse, passe encore ! Mais qu’ils nous chantent au sujet de l’Eternel « N’est-Il pas ton Père, ton acquéreur ? », ça c’est le comble !
« Halou hou avikha qanékha ? »
Traduction littérale « N’est-Il pas Lui (hou) ton père, ton acquéreur ? »
D’abord, rappelle-toi, adulte, que ce Père-là, contrairement à toi mon père (petit père), là présent, ce Père-là, c’est un Lui, c’est une absence ! Et si tu t’amuses à mettre à la place de ce « hou », de cette non-personne dit-on en grammaire, une personne ou une idole, alors je me demande moi, enfant : à quoi ça t’a servi de grandir ? Franchement !
Haazinou justement est un chant où l’Eternel explose sur la base de ce « hou ». Une fois qu’il a mis à terre son peuple réfractaire, c’est pour se glorifier dans ces paroles !
« Voyez maintenant que Moi, Moi Je le suis (ki ani, ani hou :[ que Je, Je, (c’est un) Lui]), et il n’y a pas de divinité avec moi. (…)
Oui, j’élèverai vers les cieux ma main et je dirai : Je vis éternellement (véamarti : hay anokhi léolam). »
Il passe majestueusement du Ani au Anokhi : ce dont on a l’habitude. Mais surtout, Il dit qu’Il élèvera vers les cieux sa main ! Les cieux de l’Eternel, c’est quoi ? Ou est-ce que ça se joue pour Lui cette prise à témoin de cieux divins pour dire hay anokhi (vivant Je suis) ?
Au vu de cette parole, personne ne peut en douter qu’Il est vivant ! Pourquoi ? Pourquoi justement ? –N’oublions pas : « Vivant Je le suis » (hay anokhi) est mis dans la bouche des enfants qui chantent. L’éclat, la majesté, la grandiloquence de cet Eternel se manifestent dans la voix des petits. N’est-ce pas inouï ? L’énoncé intimidant est porté par une énonciation si douce et si fragile !
Là est peut-être le signe d’un grand équilibre, d’une grande beauté dans la Torah : l’existence magistrale de l’Eternel se manifeste par la voix des bney, par la voix des enfants. L’on comprend alors le souci de notre tradition de leur faire une place centrale.