Mais où sont passés les militaires ?
Étonnant en ces temps instables de prier pour la paix, en voyant des militaires traverser la synagogue avec leurs armes en bandoulière. La couleur des mots change et s’assombrit de teints de plomb, de teints de fer. Est-ce un temps différent ? Ma nishtana hazeman hazé ? En quoi ce temps est-il différent des autres temps ?
Certains ont été effrayés par la présence de l’armée. Une dame a détourné les talons lorsque elle les a vus, ces jeunes recrues, étonnés d’être propulsés dans la capitale pour garder… des juifs. Cette dame avait vécu la guerre et quand on voyait des hommes en uniforme, à cette époque, on fuyait pour avoir la vie sauve. Comment imaginer qu’une image de danger soit remplacée dans sa tête, dans ses yeux par une image de protection… Une semaine plus tard, elle avait fait le pas, elle était là à l’intérieur et priait, les militaires à l’extérieur la protégeaient.
Et puis, il y avait ceux qui étaient rassurés par leur présence, des armes, des armes face à d’autres armes, celles des possibles attaquants.
Qui était rassuré, qui avait peur ? Nul ne peut le savoir. Les militaires ont été accueillis, nourris ; la République protégeait ses enfants. On disait plus haut et plus fort la prière pour la République comme si les mots l’aiderait à se redresser, réagir, vaincre ses ennemis.
Ce temps entre Pourim et Pessah, cet entre-deux nous rappelle l’histoire juive et comment nos ancêtres ont appris à réagir à l’adversité.
Combien d’Haman en effet, se sont levés pour vouloir tirer au sort le jour où les juifs ne seraient plus là dans leur royaume. Pourim, on en fait même une mascarade !
Et pourtant, nous sommes là !
Combien de Pharaon ont voulu réduire en esclavage toute idée de liberté, empêcher toute caricature, imposer le silence. A chaque génération, dit la Haggada, quelqu’un s’est levé et a voulu détruire le peuple « shelo ehad bilvad ‘amad alenou lekhaloténou ela shebekhol dor vador ‘omedim alenou lekhaloténou« . Mais chacun doit se considérer keilou hou, comme s’il sortait d’Egypte. La sortie d’Egypte est continuelle, jamais terminée. Nous luttons contre l’étroitesse, l’intolérance, les fondamentalismes. Même ces rabbins qui discutaient jusqu’à minuit dans la Haggada se révoltaient contre les Romains qui niaient leur identité.
Entre ces deux fêtes, nous lisons la parasha ki tissa, cette parasha du veau d’or. Combien de veaux d’or, l’humanité a-t-elle construits, pour céder à l’impatience, dans l’impossibilité de supporter les tâtonnements, les doutes, à la recherche de certitudes ?
Quand nous nous déguisons ou quand nous croquons dans la matsa, nous disons non aux veaux d’or, aux réponses simples, toutes faites, aux personnes qui croient que répandre le sang va tuer la diversité de l’humanité.
Chaque fois que je me rends dans ma synagogue, notre synagogue, je vois ce visage souriant de Ahmed Merabet, ce policier qui est mort sur le trottoir ; chaque fois, je me dis qu’il a peut-être protégé la synagogue un jour de kippour ; chaque fois, je me dis que comme Mardochée , nous ne devons pas baisser la tête devant les Haman, que nous devons quitter les Egypte idéologiques et les fuir en affirmant la liberté, que nous devons détruire les veaux d’or et construire des tabernacles où les séraphins comme les êtres humains savent se regarder face à face, panim el panim.