Cette semaine, j’entendais de nombreuses personnes qui étaient découragées de leur implication dans la société et préféraient se distancier de la vie politique devant la montée de certains extrêmes.
Etonnamment, la parasha que nous lisons cette semaine Tazria-Mestor’a nous parle de l’attitude à avoir face à ceux qui excluent. Il y est question d’une forme de lèpre Tsara’at qui s’étend aux personnes, aux vêtements, aux maisons. Que peut être cette maladie et comment la traiter ? Le texte nous donne des indices. La société dans laquelle nous vivons est-elle malade ?
Les rabbins, qui eux aussi éprouvaient des difficultés à comprendre cette affliction, par un jeu de mots l’expliquèrent. Celui ou celle qui est atteint de cette maladie est metsor’a, c’est-à-dire motsi shem ra, quelqu’un qui mot à mot a fait sortir un mauvais nom (Lev. R. 16:6) ou qui a prononcé des paroles médisantes.
Ainsi dans le livre des Nombres (12), on nous parle de Miriam qui a médit de Moïse parce qu’il avait épousé une femme éthiopienne, Miriam est atteinte de cette lèpre. Clairement toute parole qui vise à exclure l’autre, l’étranger, le Guer, ou celui qui est différent parce qu’il a une autre couleur de peau, une autre identité, une autre orientation sexuelle, ces paroles sont à bannir. Elles sont potentiellement porteuses de mort car « au bout de la langue, nous disent les Proverbes (18 :21), se trouvent la vie et la mort ». Et l’on sait bien que les mots devarim sont porteurs de douceur comme l’abeille devorah, ou de piqures parfois fatales. Les mots ont une dimension très concrète et le judaïsme a développé ce concept d’onaat devarim de blessure par les mots. On peut imaginer que les paroles s’envolent mais si le mot hébreu davar signifie également la chose, c’est bien que le mot et les choses sont une seule et même chose ! L’histoire de cet homme médisant qui veut présenter ses excuses au rabbin dont il a dit du mal et à qui le rabbin prescrit de prendre un oreiller de plumes et d’en disperser le contenu au vent puis de rechercher les plumes, cette histoire est très parlante. Les paroles médisantes, enseigne-t-elle, sont comme ces plumes, il est impossible de les rattraper une fois que le vent les a porté où bon lui semble.
Si l’on observe précisément comment est décrite cette tsora’at, cette affection de la peau dans le Lévitique, on peut en tirer des enseignements pour aujourd’hui.
Cette fausse lèpre atteint la peau, le Lévitique Rabba dit même qu’elle atteint le visage. La peau est la frontière entre l’intérieur et l’extérieur. Si cette frontière est trop épaisse et interdit l’échange, la vie s’en va, le visage blanchit. Le dam est le sang, ce qui nous rend adam, notre enoshouth notre humanité, la vie. Celui qui médit fait partir le sang du visage de l’autre, nous dit le Talmud, il le tue socialement. La peau est une frontière qui laisse passer, perméable et cette perméabilité nous rend humain. Elle nous permet lorsque nous ouvrons notre visage à l’autre de lui sourire. Panim visage vient de lifnoth, se tourner vers. Ouvrir notre visage aux autres « besever panim yafoth » avec affabilité est une mitswa un commandement contenu dans les Pirkei Avoth (I 15). Ainsi ceux qui prônent l’enfermement, le « entre nous » qui avons le même visage, se ferment à la diversité de l’humanité. Rappelons-nous ce magnifique texte qui questionne : « Pourquoi l’humanité a-t-elle été créée à partir d’un seul couple ? Pour que personne ne puisse dire « je suis supérieur à toi, car mes ancêtres étaient ceux-là et non pas les tiens ». Et pourquoi alors sommes-nous tous différents ? A l’inverse d’un artisan qui frappe des pièces d’un même poinçon et obtient la similitude, Dieu a façonné l’être humain avec un seul moule et pourtant ils sont tous différents ». Nier la différence, vouloir la gommer, ou vouloir créer une société de personnes uniformes, repliées sur elle-même, est une forme de négation de l’œuvre divine. Lorsque le visage s’ouvre vers l’autre, il est illuminé comme celui de Moïse qui a rencontré Dieu panim el panim face à face.
Après la peau, ce sont les vêtements que la plaie touche. Les vêtements représentent une seconde peau, un manteau de dignité. En écoutant cette semaine Odette Spingarn, rescapée de la Shoa, lorsqu’elle expliquait que les nazis les avaient privés de leurs vêtements et qu’ils étaient traités comme des animaux, l’on comprenait ce processus de déshumanisation inimaginable.
Le mé-disant peut être celui qui nie l’histoire, le négationniste ou n’assume pas les responsabilités de ceux qui ont participé à l’horreur. Celui ou celle qui nie l’Histoire ou la transforme assassine à nouveau les victimes. Comment peut-on lui faire confiance ? Ce sont les pires régimes qui ont ainsi tué doublement leurs victimes.
Enfin la Tsora’at atteint les maisons. Est-il besoin à nouveau de dire que le judaïsme prône l’hospitalité, que la tente d’Abraham et de Sarah était ouverte pour recevoir l’autre et que l’on ne peut bâtir sur la haine mais sur le shelom bayit, la paix de la maison.
Le mé-disant est exclu du camp dans le lévitique parce que lui-même a exclu. Il est puni par ce qu’il a fait subir et on le déclare doublement impure. tamé, tamé.
Alors osons déclarer que l’extrémisme est à éloigner de nos sociétés. Le Psaume 116 dit « dans mon découragement, ma précipitation, j’ai dit kol haadam kozev tout être humain est trompeur », ne baissons pas les bras, mais disons plutôt « héemanti ki adaber, j’ai confiance et je parlerai » et gardons espoir dans l’humanité et dans la construction d’une société meilleure à laquelle nous nous devons de participer.
Rabbin Pauline Bebe