Vendredi 15 février 2019 (soir)
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« Allumez des lampes »
« Veata tetsavé et toi tu ordonneras aux enfants d’Israël de te choisir un huile pure d’olives concassées pour le luminaire leha’aloth ner tamid pour faire monter le ner tamid ». Exode 27 :20
Le ner tamid a toujours été le symbole dans le Tabernacle puis dans nos synagogues d’une présence divine qui ne s’éteignait jamais, comme un symbole de vie, un souffle qui nous anime, un ruisseau qui coule sans discontinuer.
Veata tetsavé les rabbins s’étonnent : pourquoi ce ata, toi, déjà présent dans tetsavé, tu ordonneras, le signe de la seconde personne, comme s’il fallait mettre de soi dans cet acte, celui d’allumer une lampe, un luminaire, une source d’espoir. Un peu de soi, un peu de toi, ou de moi selon la personne à qui l’ordre s’adresse. Pour allumer une lampe, il faut y mettre de sa personne, de son âme. C’est ainsi que le comprend Aaron Yaakov Greenberg dans son commentaire Ittourei Torah( vol. 3) « chaque juif doit allumer le ner tamid qui est dans son propre cœur ».
Et ce ner, cette lampe est tamid, perpétuelle, mais l’on sait qu’à l’époque biblique, la lumière était faite d’huile et de feu et qu’il fallait l’entretenir. Il fallait des shomrei or, des gardiens de la lumière. Et pour cela aussi, on peut dire qu’il fallait du ata, du « tu », de soi, de l’autre, de son cœur et de son âme pour alimenter quotidiennement cette lampe.
Tout comme les lumières de Hanoukka, le ner tamid ne devait servir à rien, ne pas être utile à quelque chose, une acte gratuit et quotidien qui ne fait que porter un espoir, c’est-à-dire en réalité, beaucoup.
Rappelons-nous cet allumeur de réverbère qui suit précisément la consigne, d’éteindre et d’allumer, et ainsi dit le Petit Prince « quand il allume son réverbère, c’est comme s’il faisait naitre une étoile de plus, ou une fleur. Quand il éteint son réverbère, ça endort la fleur ou l’étoile. C’est une occupation très jolie. C’est véritablement utile puisque c’est joli » » (Antoine de Saitn-Exupéry).
On pourrait dire de même qu’allumer ou entretenir la flamme du ner tamid, « c’est utile, puisque c’est joli ».
Mais peut-être est-ce davantage que cela. Car on peut avoir le visage éteint, l’âme peut se froisser facilement surtout quand on l’insulte.
Face à l’insulte, que faut-il faire ?
S’indigner, crier haut et fort, ce n’est pas possible, c’est indigne, insupportable, inadmissible. Certes, sans doute, il faut crier les injustices, les dire, les dénoncer. Mais faut-il répondre par d’autres invectives, ou dire « celui qui dit c’est celui qui l’est » ? Je ne crois pas.
La réponse est dans le ner tamid, il faut allumer des flammes, créer des lumières, des étoiles dans la nuit obscure.
Comment faire ?
Les étoiles ne s’allument pas avec des cris ou de longs discours. Les étoiles s’allument en les dessinant, ou peut-être même avec des interrupteurs. Et comme tout ner tamid, quand on veut l’éteindre ou l’étouffer, il doit résister.
Être juif – si le mot juif devient une insulte, c’est sans doute, pour une part, par ignorance. Alors c’est à nous de dire ce que signifie cette appellation. Yehoudi, celui ou celle qui reconnait ou remercie. Quelles sont les valeurs qui nous portent ? Sommes-nous si différents des autres ? L’étranger qui se cache en nous est-il si étrange ? c’est à nous d’expliquer, de dire, d’enseigner, et nous-mêmes d’apprendre, car sinon, être juif, c’est juste porter une appellation qui nous condamne à n’être que le « juif » de l’autre. Nos habits sacerdotaux, nous devons savoir ce qu’ils représentent sinon ils sont hypocrites et se laissent facilement salir. S’ils s’expliquent, ils nous collent à la peau, à fleur de peau et alors on comprend qu’être juif, ce n’est pas seulement porter un numéro sur le bras, ce n’est pas seulement porter une histoire, une mémoire, celle de la persécution. C’est aussi le vivre au quotidien pour faire le bien.
C’est affirmer l’égale dignité de tout être humain, c’est se battre pour la liberté partout où règne l’oppression, c’est permettre à tous de respirer une fois par semaine, de rêver et de s’émerveiller, c’est dire que la vie passe au-dessus de toute considération et se battre pour elle, c’est dire que la question est plus importante que la réponse, c’est dire que chacun a le droit d’étudier, de manger, d’avoir un toit au-dessus de sa tête.
Et si nous croyons à ces valeurs, nous serons fiers de les porter sans dire sans cesse que nous sommes des victimes.
Apprendre donc, et enseigner, partager pour ne plus porter cette étrangeté sur le visage, la rendre accessible sinon aimée par celui qui me dé-visage.
C’est parfois à moi de me redonner la dignité que l’autre m’a enlevée en sachant d’où je viens, qui je suis et ce que contiennent mes livres, ce que mes ancêtres ont dit, ce que mes sages me soufflent à l’oreille.
Et puis il faut faire ensemble, tisser des liens avec ceux qui ne sont pas les mêmes car lorsque l’on marche ensemble, lorsque l’on mange ensemble, lorsque l’on rit ou l’on pleure, que l’on partage ses passions, ses secrets, on ne peut plus se haïr.
C’est au moment où l’on veut se replier qu’il faut précisément aller vers l’autre et lui dire , regarde moi dans les yeux, regarde dans mon cœur et dans mon âme, n’est-ce pas le même café que nous buvons jusqu’à la lie, le même ciel vers lequel nous levons les yeux, la même terre que foule nos pieds, le même Dieu qui nous a créés. Ta mère s’est inquiété lorsque tu tardais à rentrer, tu as douté de toi, tu as aimé à n’en plus finir, tu as dansé sur le même pavé, tu as rougi de ton premier baiser. Comme moi, tu finiras par mourir mais pour l’instant, il nous faut allumer des réverbères, dessiner des étoiles et sourire à la vie.
Ce ner tamid représente un espoir infini de lumière pour l’humanité, celui qui nous a porté même dans la plus grande obscurité. Sachons l’alimenter, le préserver en étant les gardiens de la lumière, en déconstruisant les préjugés, en sachant qui nous sommes tout en dessinant le visage de l’autre et en y projetant la lumière du ner tamid.
Shabbat shalom
Rabbin Pauline Bebe