Mardi 11 octobre 2016 (soir)
Vous connaissez cette histoire d’un couple de naufragés juifs qui se retrouvent sur une ile déserte. Les secours arrivent et ils sont interrogés. Comment avez-vous fait pour survivre alors que votre embarcation a sombré à plusieurs milles d’ici ? Le couple, étonné par la question répond, nous ne le savons pas, nous avons parlé, parlé, parlé….
Sauvés par les mots, tel est peut-être le secret du judaïsme, de sa continuité, de son génie, de sa houtspa, de son irrévérence, du défi qu’il oppose à toute logique, de sa nuque roide, de sa défiance à tout système d’enfermement, de son questionnement perpétuel, de son innovation, de son humour, de sa résistance à toutes les forces qui ont cherché à le broyer, de son espérance obstinée comme le proclamait Edmond Fleg en 1928 « Je suis juif, parce qu’en tout temps où crie une désespérance, le juif espère » !
Les mots sont tissés dans un ouvrage sans fin qui a débuté aux prémisses de l’écriture et qui, contrairement à celui de Pénélope ne s’est jamais défait car si jamais un jour y apparaissait, il était aussitôt reprisé, l’amour y enchevêtrait son fil, dans l’étude et les livres.
Les mots se mangent autour des tables juives. Avouez que ce n’est pas souvent que nous jeûnons, et nous en faisons tout un plat, un plat de mots bien sûr !
Et les mots sont des pierres d’édifices d’éthiques, ils sont posés sur les maux, les blessures, des baumes de mots pour les guérir et continuer à toujours se poser des questions.
Tapouhei zahav bemaskioth kasef, davar davour al ofnav (Prov. 25 :11) Comme des pommes d’or dans des coupelles d’argent, telle est la parole parlée à bon escient davar davour al ofnav, une parole parlée, al ofnav, à propos. Le mot ofen, qui signifie manière, façon, apparence, caractère désigne aussi la roue. Il a donné en hébreu moderne ofanaïm la bicyclette. On pourrait presque traduire l’expression davar davour al ofnav, parler à bon essieu. Car quel est le lien entre tous ces mots, si la roue tourne, les circonstances changent, nous percevons une autre réalité, une autre apparence, tel le chat de Schrödinger, lorsque les rabbins disaient shivim panimlatorah, la torah a soixante dix visages, peut-être parlaient-ils déjà de physique quantique tout comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Les mots hébreux sont al ofnav, juchés sur une bicyclette et leur sens change en fonction des circonstances, des roues, du chemin qu’ils empruntent, de la manière dont ils sont lus. Comme dans la chanson : « quand on approchait la rivière, on déposait dans les fougères, nos bicyclettes, puis on se roulait dans les champs faisant naître un bouquet changeant, de sauterelles, de papillons et de rainettes ». Les mots font voler les papillons dont les ailes diaphanes reflètent les rayons du soleil couchants, ils font naître un bouquet d’émotions, une explosion de sentiments, et comme la rosée rafraichissante du matin se posent délicatement sur nos lèvres. Les mots dits « à propos » sont « Comme des pommes d’or dans des coupelles d’argent », de la bonne utilisation des mots, c’est ce que nous apprend la tradition juive. Hillel disait (Avoth 2 :5): « ne t’exprime pas en termes inintelligibles dans l’espoir d’être compris plus tard », un pendant à ce que Boileau écrirait 17 siècles après « ce qui ce conçoit bien, s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément » (l’art poétique). Traditionnellement, tout enfant qui grandit apprend le alef-beth, l’alphabet avec du miel, les lettres y étaient trempées et ainsi il dégustait les mots, les lettres livraient leurs sucs et l’enfant s’en délectait comme si le mot devait être immédiatement lié à la jouissance des papilles, un mot sucré, un mot doux et aimé. Le mot davar, n’est-il pas précisément de la même racine que devorah l’abeille. Ainsi l’enfant apprend à aimer les mots et les lettres avant même de savoir les prononcer. La lettre, son nectar et son suc entre dans sa bouche avant même que le mot n’en sorte. L’enfant mange les mots et se fait livre, recevant en son ventre les mots qu’il va apprendre à lire. Le talmud dit que « chaque embryon dans le ventre de sa mère est un livre qui n’a pas encore été ouvert » (TB, Nida 30b) et ailleurs qu’un ange vient toucher la lèvre supérieure du nouveau-né pour lui faire oublier toute la Torah qu’il savait in utéro mais que dorénavant il doit réapprendre. Livres nous étions, livres nous redevenons, dans ce monde qui se présente comme une bibliothèque ou même les buissons, siah, tiennent des conversations siha. Ainsi quand nous nous rencontrons, c’est une histoire qui en rencontre une autre, un livre qui s’effeuille avec un autre et ensemble, nous écrivons un nouveau chapitre, plume contre plume. Les mots s’entrechoquent et fusent mais ils finissent par se tenir la main et même parfois danser. Lorsque l’on plonge son regard dans celui de l’autre, ne lit-on pas dans son âme et ne livrons-nous pas l’écriture de notre âme à l’autre ? D’ailleurs, le premier écrivain n’est-il pas le Créateur que le midrash met en scène, jouant avec les lettres de l’alphabet qui se disputent comme des enfants jaloux la place qu’elles vont avoir dans la Torah. C’est le beith qui commencera la Torah, le alef, soufflé ou inspiré, plus discret commencera les dix paroles par le anokhi. Le « je » s’efface pour céder sa place au « tu » et tous les sifrei kodesh, livres de sainteté, commencent ainsi avec la seconde lettre de l’alphabet, laissant le alef soit au Créateur soit au lecteur qui prête son souffle à l’écriture, comme une partition dessinée pour des notes en quête de musique. Et le lecteur se fait compositeur en y mettant un brin d’âme selon son humeur, son humour, ses amours et lit un livre différent de son voisin d’âme. C’est d’autant plus saillant dans la langue hébraïque qui se vocalise selon le choix du lecteur. La lecture est en permanence une devinette, une hésitation, elle n’est jamais certaine et hautaine, elle reste un balbutiement, comme si les mots étaient fragiles et que dits avec trop d’emphase, ils se briseraient comme des vagues de l’océan sur le rocher escarpé de nos lèvres. Et dans la Torah et le Talmud, nos livres de référence, il n’y a ni point ni virgule. Le lecteur est un acteur et un interprète libre de son ton, de son intonation, de mettre des points d’interrogation, d’exclamation ou de suspensions où il le veut. Jacques Prévert avait saisi cette idée de la liberté, mettant à la fin d’un de ses poèmes des points et des virgules à distribuer au bon gré du lecteur. Le lecteur de la torah et du talmud lit le texte comme ça lui chante, il chante le texte comme il l’entend. Impossible de lire tout simplement, le lecteur est condamné à l’interprétation. Il doit entrer dans un rapport avec le texte comme lors de prémisses amoureuses…dans quel sens vais-je te prendre, dit-il au mot ? Et le lecteur, comme il interprète, commente aussi et ajoute son propre feuillet au mille- feuille de mots, d’opinions et d’interprétations. Lorsqu’il ouvre un traité du talmud, il voit dialoguer les maisons des sages et apprend l’art de la controverse. Rien n’est de l’ordre de l’évidence. Tu peux lire ainsi, mais tu peux lire aussi autrement. Les idées fusent de part et d’autre de la page talmudique, d’un siècle à l’autre, de Jérusalem à Babylone, des pays ashkénazes à séfarades, de l’orient à l’occident, du palmier au chêne, des aggadistes au halakhistes, des poètes aux grammairiens, des juristes aux conteurs, des rêveurs aux réalistes. Un enfant juif grandit dans la diversité des opinions et cette diversité ne lui fait pas peur, il l’intègre comme une donnée du monde. Deux personnes affirmant des choses contradictoires peuvent avoir raison. Et il ne se passe pas un jour dit le midrash, au beit hamidrash à la maison d’études, sans hidoush, sans nouveauté dans la pensée. Le dialogue créé un apprentissage, un tissage de mots et d’idées horizontales et verticales, les mots volent dans les airs sur le souffle d’une inspiration renouvelée. Les mots sont tsistioth des étincelles que l’on met aux quatre coins de nos vêtements. On se revêt de mots. Et l’on encourage la remise en cause, la koushia, la difficulté soulevée. L’élève est invité à dépasser le maître pas à se sou-mettre ! Ainsi les talmidei hakhamim, les élèves de sagesse entrent dans une danse effrénée avec les mots, avec les lettres et si l’on n’est pas certain que les mots dansent, il suffit de regarder l’expression talmudique (TB, Nida 3a) yesh raglaïm ladavar, « cette parole a des pieds », ce qui signifie qu’elle a un fondement solide. Le maître est sans cesse interrompu et ce l’est pas l’ancienneté qui prime mais la sagesse de la remise en cause. Cette tradition n’a jamais de point final, elle n’a d’ailleurs pas de point du tout et si elle en avait, ce serait des points de suspension dans lesquels le lecteur pourrait s’immiscer, s’engouffrer et y laisser sa trace fécondante. Il plonge dans cet univers ludique et ingénieux. Et qu’est-ce qui est le plus précieux dans une synagogue après les personnes, les âmes ? C’est la Torah, le livre. L’office est centré autour d’un livre que l’on sort de sa niche, l’aron hakodesh, comme une belle personne que l’on respecte et que l’on salue, un ancêtre autour duquel nous nous rassemblons et qui a de belles et nouvelles choses à nous raconter chaque semaine. Nous la déshabillons, mettons à nu ses lettres de noblesse et le son de ses mots résonnent à nos oreilles comme une douce mélodie d’antan vers laquelle nous revenons sans cesse et qui n’a jamais fini de livrer ses secrets.
Ce qui fait qu’une maison est juive est souvent la présence de livres, une bibliothèque, des piles de mots, un amas de lettres. Sur la porte de la maison, l’on appose un bout de parchemin pour dire que l’on étudie dans cette maison et sur ce parchemin il est écrit « vehayou hadevarim haélé, ces paroles là seront sur ton cœur, tu en parleras en allant en chemin, en restant dans ta maison, en te couchant et en te levant »(Deut. 6 :6). Chose étonnante, pirouette rituelle, quelles sont les paroles que l’on doit accrocher ou répéter ? On ne le sait pas et la réponse est sujette à controverse. Alors comme si l’art de la parole était de parler, comme si l’important était de nommer les choses, que déjà la parole est discernement, on appose des paroles qui nous disent de les apposer sans savoir exactement desquelles il s’agit. Des paroles et des mots qui sont aussi des actes. « Davar, écrit André Neher (L’Exil de la parole, p.99), un mot qui revient des milliers de fois dans la Bible […] quel contraste entre cette prodigieuse unité de davar et la dichotomie latine de res et de verbum, la dichotomie grecque de logos et de ta onta. Davar est en effet, un de ces mots synthèse ou plutôt de ces mots monistes, si fréquents en hébreu qui respectent l’unité profonde et originelle de la création qui protestent par leur existence même et par la densité de leurs significations simultanées, contre les dualismes et les pluralismes des cultures non bibliques ou celles qui ne sont pas restées fidèles à leurs sources bibliques primitives […] ». D’un côté, explique-t-il, le judaïsme réunit la chair et l’esprit, la matière et la parole tandis que d’autres civilisations « ne les tolèrent que séparés et contraires ». « Le judaïsme ignore et refuse la fissure gréco-latine » […] et ce refus est « symbolisé par l’aventure d’un mot davar ». Le mot est une chose, le mot est réel, existe, il marque, a un effet, il est actuel. Et lorsque l’enfant devient adulte, la marque de ce passage est la keriat hatorah la lecture/interprétation, la parole associée étroitement à l’acte, il reçoit le livre transmis de génération en génération, livre qu’il interprète à son tour devant toute la kehila, la communauté. Être adulte, c’est ajouter un point au tissage des générations, tissage de mots, d’amour, de joie, de discernement et de sagesse.
Et les mots sont partout, même dans les mets, même autour de la table. Si deux personnes se réunissent pour manger, il leur faut inviter la Shekhina, la présence divine en parlant de Torah comme le disent les Pirkei Avoth. Comme si l’on ne pouvait se sustenter sans paroles, pas de repas en silence dans le judaïsme ! Les mots et les mets se côtoient. Les mots louent les mets et leur créateur par le biais des berakhoth des bénédictions qui retracent les origines. L’acte est entre la parenthèse de deux mots. Et le repas par excellence, le paradigme du repas est celui de Pessah, repas de liberté. Dans la haggada qui est suivie comme guide du repas, on retrouve un récit auquel chaque âge a ajouté son grain de sel. Il s’y trouve des passages de la Bible, des paroles d’Hillel datant de l’époque du second Temple, des sages du second siècle qui vivaient à Benei brak, des enseignements des Amoraïm du 3ème siècle, de Yannaï et de Kalir de la période post-talmudique, et des additions des communautés du Moyen-âge, des comptines et des textes contemporains. Chaque texte raconte une histoire, et tout est initié par un ma nishtana d’il y a 2000 ans, en quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? Les koushioth, les questions posées par les enfants à leurs parents initient et provoquent le récit, la haggada, comme un long fleuve qui prend sa source dans la bouche des enfants. « Lorsque ton enfant te posera la question »(Ex. 13.14), dit la Torah, « vehigadta tu lui raconteras »(Ex. 13 :8). La question de l’enfant transforme le parent ou tout adulte présent en conteur, conteur d’une histoire qui remonte à la nuit des temps, nuit de question à laquelle l’enfant se rattache. Il devient un poseur de questions garant d’une promesse de réponse. Il est l’indispensable étincelle qui créé le feu de l’apprentissage. Et encore une fois pirouette du rite, personne ne répond dans la haggada aux questions posées par l’enfant, mais un récit trace par des mots un trait d’union entre « le passé et l’avenir, une histoire et une destinée et l’enfant comme le dit le grand rabbin Jonathan Sachs devient l’acteur de cette histoire ».L’enfant et chaque enfant en nous, apprend qu’en Égypte on construisait des pyramides en l’honneur des morts en réponse à la brièveté de la vie et des statues colossales en l’honneur des pharaons qui se prenaient pour des dieux. En contraste, les hébreux peuple d’esclaves qui se libèrent ont laissé les pyramides derrière eux. Avec quoi sont-ils partis d’Égypte ? Avec une histoire, un récit, des mots. Avant même de partir, les instructions sont données à quatre reprises « lorsque tes enfants te demanderont, que signifie ces rites pour vous ? Tu leur raconteras ». Avant même la sortie l‘Égypte, l’inscription dans l’avenir est prévue et énoncée et le premier seder a lieu en Égypte. Comme si l’on ne se préparait pas qu’à la sortie d’Egypte, mais à l’après de la sortie, la transmission de la sortie, la lutte perpétuelle et jamais terminée pour la liberté. Le rite est à amener avec soi en voyage, rite- c’est-à-dire les mets et les mots, pessah matsa maror passage, pain azyme et herbes amères. Pas de pierres, pas de grands discours non plus mais la projection dans l’avenir, le devoir de revivre le passage de l’esclavage à la liberté chaque année. L’obligation de raconter fait du peuple juif « une nation d’éducateurs »(Sachs). La vraie liberté nous dit le texte de l’Exode passe par l’éducation, la transmission de rites qui ont du sens, et le rite est précisément davar, à la fois le mot et la chose, la parole et l’acte. Lorsque la matsa se craquelle sous nos doigts, dans nos bouches, ce sont des miettes de liberté que nous mangeons. Lorsque le vin coule entre nos lèvres, il nous souvient du Cantique des Cantiques(1 :2), ki tovim dodékha miyayin, « car tes caresses sont plus douces que le vin » et quant les gouttes sont prélevées du verre et dessinent des taches sur nos assiettes ou sur les haggadoth, ce sont des gouttes de plaisir qui s’en vont, goutte de compassion pour les victimes égyptiennes, otages du tyran.
Ainsi la liberté est constituée non de pyramides de pierres mais d’édifices de mots : la manière juive de s’inscrire dans l’éternité, ‘olam l’espace et le temps, en un seul mot. Les mots accompagnent tous les actes, et si l’acte d’amour n’est pas accompagné de berakha, il doit être précédé d’un fragment de discours amoureux, comme le dit le Talmud qui le rend poétique et l’éloigne de la bestialité. La poésie des mots donne à l’amour sa dimension féérique comme l’écrit si bien Victor Hugo, « les amants séparés trompent l’absence par mille choses chimériques qui ont pourtant leur réalité. On les empêche de se voir, ils ne peuvent s’écrire ; ils trouvent une foule de moyens mystérieux de correspondre. Ils s’envoient le chant des oiseaux, le parfum des fleurs, le rire des enfants, la lumière du soleil, les soupirs du vent, les rayons des étoiles, toute la création. Et pourquoi non ? Toutes les œuvres sont faites pour servir l’amour. L’amour est assez puissant pour charger la nature entière de ses messages » (Les Misérables, chap. IV). L’amour prend son envol et son inspiration dans son énonciation. Messages d’amour, petits mots doux, dissimulés dans des cachettes, les devarim sont apposés sur nos portes, mis sur nos têtes avec les tefilin et sur nos bras, symbolisant la parole associée à la pensée et à l’action. La strophe d’une poésie est une maison bayit dans laquelle on se sent bien et l’on y boit le kidoush symbole de joie avec des verres/des vers à pied.
Les mots sont les fils de l’apprentissage, ils sont liés aux mets et s’inscrivent dans un temps qui ne s’arrête pas mais peut-être pas non plus n’importe quel mot : le midrash (Lev. R. 16 :2 ; AZ 19b) raconte l’histoire d’un marchand ambulant près du village de Sepphoris en Galilée qui clamait : qui veut un élixir de vie ? sam hayim .Rabbi Yannaï qui était en train d’expliquer à ses étudiants le sens littéral de l’écriture s’arrêta et dit : « viens me vendre ton élixir de vie. Le marchand lui répondit : « pas à toi ni à des personnes comme toi ! ». Devant l’insistance du rabbin, le bonimenteur ouvrit le livre des Psaumes et lui fit lire « mi haish hehafets haim qui est celui qui désire la vie (Ps. 34 :13) ? Et au verset suivant poursuivit-il, il est écrit netsor leshonekha méra, ousefatékha midaber mirma préserve ta langue du mal et des lèvres des discours perfides, éloignes toi du mal et fais le bien sour mera vaassé tov, rodef shalom verodfehou, éloigne-toi du mal et fais le bien, recherche la paix et la poursuis (Ps. 34 :14-16). Et les proverbes complèteront « la vie et la mort sont au pouvoir de la langue. (Prov. 18 :31) ». L’élixir de vie nous dit le midrash est le mot juste, le mot de justesse et de justice. Le mot au bout duquel est la vie et non la mort, le bien et non le mal. C’est une manière de nous dire que lorsque nous avons un mot sur le bout de la langue, c’est un fil qui nous accroche à la vie et au fil de l’espoir. Et rappelons-nous les Proverbes, ce sont les mots à bicyclette al ofnav, les mots appropriés, prononcés à bon escient qui sont des coupelles d’or dans des vases d’argent.
Si nous revenons vers nos naufragés que nous avions laissés le temps d’un voyage dans l’univers de la parole sur leur ile déserte, il n’est plus étonnant à présent qu’ils aient été sauvés par des mots. Une des façons de dire un mot en hébreu est teva, une arche comme celle de Noé qui sauve l’humanité, car les mots sont bels et bien des embarcations qui nous font voguer vers des contrées inconnues. C’est à chacun en cette période de retour sur soi et de réflexion d’écrire le livre de sa vie, avec des mots d’amour et des mot d’humour, des mots doux et des mots de construction, des fils de soi parce que l’on y met beaucoup de nous-mêmes. Comme nos ancêtres, nous bâtirons des maisons de mots et des édifices de lettres qui dansent, s’entrechoquent et dialoguent avec le passé, nous mangerons des mots autour de nos tables, pour mieux construire l’avenir, pour douter et questionner, nous prononcerons des mots qui, à la manière d’un essaim d’abeilles nous laisseront un gout de miel sur nos langues, pour panser les blessures et créer de la douceur de vivre, des ruches de mots où il fait bon s’aimer et vivre.
Rabbin Pauline Bebe