A l’heure où j’écris ces lignes, j’apprends la triste nouvelle de la disparition d’un de mes maîtres, le rabbin Docteur John Rayner. John(z»l) était un grand penseur du judaïsme libéral, un halakhiste et un posek, un décisionnaire, un darshan, un exégète, il avait une pensée claire et était un homme de conviction d’ouverture et d’humour et surtout un Mensch. Il m’a enseigné une rigueur de pensée, un souci de l’autre et une grande humanité. Il a été et sera pour moi une source d’inspiration continuelle. Je voudrais lui dédier cette drasha. Que son souvenir soit source de bénédiction. Amen
On raconte qu’un juif qui s’était absenté de sa communauté pendant un certain temps revint pour assister à une bar-mitswa. Il est étonné de voir les changements qui se sont produits pendant son absence et l’un d’eux l’intrigue en particulier. Le conseil d’administration avait l’habitude d’offrir un Tanakh ou une Bible au jeune en guise d’appréciation de la part de la communauté. Et voici qu’à la place du Livre, il voit un objet de forme oblongue. Interrogeant un dignitaire, il s’entend répondre : « Oui, à la place d’un Tanakh, nous avons décidé d’offrir aux benei mitswa un parapluie, au moins nous sommes sûrs qu’ils l’ouvriront une fois dans leur vie » !
Les débats auxquels nous avons assisté l’année dernière en France sur la laïcité nous ont incités à nous reposer la question de notre identité. A nouveau les questions d’intégration et d’assimilation ont été soulevées avec acuité et on peut se demander face à l’antisémitisme, les dangers du sectarisme et du fondamentalisme religieux : pourquoi rester juifs ? De nombreux juifs affirment qu’ils n’ont pas besoin de revendiquer leur appartenance pour se comporter bien et plutôt que de plaider la différence pour la différence, ils préfèrent oublier cette spécificité. Il n’y a plus d’automatisme d’identification : ce n’est plus parce que des arrière-grands-parents, des grands-parents et des parents pratiquaient le judaïsme ou s’identifiaient à la communauté que les enfants se sentent obligés de poursuivre. Autrement dit, l’argument de la tradition, de son ancienneté ou de son poids ne suffit plus à convaincre les jeunes générations de leur appartenance. De plus, il se peut que des arrière-grands-parents aient été déportés ou que des parents aient été élevés pendant la guerre et que le judaïsme ait été mis pendant ces années de tourbillon entre parenthèses. Nous vivons à une époque où nous commençons à peine à comprendre les conséquences de la Sho’a mais nous savons à quel point cet événement a pu affecter notre communauté au plus profond de son être. Parfois les rites étaient transmis sans explication et n’avaient donc plus de sens pour les générations suivantes.
Par ailleurs, dans certaines familles d’Afrique du Nord où le judaïsme était pratiqué là-bas, une fois les familles déplacées, arrivées en France, elles ont pu cesser de pratiquer. Il se peut également que l’anticléricalisme, le rationalisme, le communisme, le matérialisme ou la psychologie moderne pour des raisons parfois opposées ait condamné le judaïsme comme étant dépassé, suranné, trop particulariste. Nous vivons à une époque post-idéologique où beaucoup de systèmes ont montré leurs failles où l’on a assisté à l’échec d’un certain nombre de théories. Même si certaines d’entre elles ont beaucoup apporté au monde – adoptées comme des pensées totalitaires ne souffrant aucun bémol, aucune critique – elles ont pu marquer un enfermement de l’esprit. Ceux qui s’en sont réclamé après avoir été enthousiasmés et exaltés se sont retrouvés déçus, perdus. Parfois le judaïsme lui-même n’a pas su s’adapter aux changements de la société et mal compris ou mal interprété, a été source d’éloignement. Pour toutes ces raisons, le mot « juif » n’était plus qu’une étiquette dépourvue de sens, privé de son contenu comme un fruit sans saveur.
Alors pourquoi rester juif ?
Je voudrais tenter de répondre à cette question en suivant trois axes : 1- Le judaïsme nous enseigne que nous sommes des êtres d’égale dignité mais non de similitude – et des êtres de mémoire qui devons rester attachés à notre histoire.
2- Le judaïsme a des outils très spécifiques pour faire vivre et transmettre les valeurs qu’il nous enseigne ; 3- Le judaïsme ne nous inscrit pas seulement dans le passé et le présent mais aussi dans l’avenir.
La Bible nous enseigne que être humain a été créé à l’image de Dieu. Betselem elohim bara otam : « A l’image de Dieu il les créa »( Gen. I, 27). Jusqu’à l’apparition du judaïsme, dans d’autres civilisations et jusqu’au Moyen Age, la valeur des individus pouvait dépendre de leur naissance, de leur richesse ou de leur statut social. Pour le judaïsme, l’image divine en chaque être humain n’augmente ni ne diminue en fonction de la reconnaissance sociale. Et pourtant cette dignité égale ne se traduit pas par une similitude. A la question de pourquoi maintenir une différence, le judaïsme répond que tout être humain naît égal mais différent de son voisin. Un des grands enseignements du judaïsme est la particularité de penser le particulier dans l’universel : Chaque peuple a son histoire, ses références, sa littérature, nous avons la nôtre. Maintenir la spécificité de chaque peuple, de chaque religion, tout en affirmant l’égale dignité de l’humanité, telle est la révolution apportée par le judaïsme. La Bible nous dit que l’humanité a été créée à partir d’un seul être pour maintenir la paix entre les êtres humains et que l’un ne dise pas à l’autre : « Mon père était plus grand que le tien » (…) Quand un homme fabrique de nombreuses pièces avec un seul sceau, elles se ressemblent toutes (…) mais le Saint béni soit-Il a façonné chaque être à partir du moule du premier homme, pas un n’est exactement semblable à son prochain (…) Sanhédrin 38a.
Il ne faut pas artificiellement rayer les différences entre les êtres humains, penser que nous sommes tous pareils. L’humanité est comme une œuvre d’art aux multiples nuances et couleurs, ombres et lumières ; elle vit par sa diversité ; si l’on mélange sur la palette humaine les différentes nuances, nous obtiendrions une couleur uniforme –les êtres humains ne sont pas des robots – même si les cultures se mélangent, ce n’est pas l’uniformisation que nous devons chercher mais l’harmonie. Le judaïsme n’a jamais cherché à convertir le monde à sa pratique.
La vision messianique de la fête de soukkoth met en scène les soixante-dix nations du monde qui participent à l’offrande en tant que nations du monde. Il existe un salut en dehors du judaïsme et les non-juifs ne sont pas des infidèles. Le judaïsme ne prétend pas détenir la vérité sur le monde et que les autres sont dans l’erreur. Rappelons-nous cette injonction du Talmud qui nous apprend à vivre dans une société majoritairement non-juive : « dina demaklhouta dina la loi de l’Etat est la loi »(Nedarim 28a). Maintenir son identité ce n’est donc pas le refus de l’intégration mais de l’assimilation. Nous avons notre histoire, nous les juifs tout comme d’autres peuples ont leur histoire, et cette histoire a été souvent au croisement d’autres histoires, celles des pays dans lesquels les juifs ont vécu. L’humain est appelé “zakhar” en hébreu, l’être qui se rappelle, l’être de mémoire. Peut-être ce qui nous différencie le plus des animaux, en dehors de la parole, c’est la mémoire, cette capacité de se souvenir : Tu te souviendras que tes ancêtres ont été en Egypte, n’oublie pas. Un être humain sans mémoire qu’elle quelle soit est comme un arbre sans racine. Il se meurt. L’intégration à une société multiple ne signifie donc pas l’oubli de la spécificité de chacun.
Midrash a brisé les idoles de son père mais ce ne sont pas seulement les idoles de son père qu’il a brisées, cette brisure fut une brèche ouverte pour une idée exprimée beaucoup plus tard par des philosophes : l’idée d’une éthique universelle. L’être humain avait un idéal – Dieu – qui exigeait de lui de bien se comporter : la définition du bien ne pouvait plus dorénavant changer d’un idéal à un autre, d’un dieu à un autre, d’une tribu à une autre comme dans le polythéisme. C’était la fin de la guerre des dieux ; le dieu du soleil et de la pluie, de l’amour et de la guerre, de la colère et de la paix était un seul et même dieu qui ne pouvait se contredire : une seule référence, une éthique universelle pour tous. Et ce Dieu exigeait la justice et l’amour du prochain . Fleg écrit : « L’Hébreu des temps anciens doit traiter avec douceur son esclave, le libérer en le récompensant au bout de sept années ; rendre pendant la nuit, le manteau pris en gage ; laisser des gerbes dans son champ pour le pauvre, la veuve et l’orphelin ; aimer l’étranger comme un frère. Le juif de l’époque talmudique doit ouvrir sa porte au pauvre, comme s’il était de sa famille, être charitable envers juifs et non-juifs, honore les vieillards non-juifs comme les vieillards juifs, enterre les morts non-juifs comme les morts juifs, consoler ceux qui les pleurent. (Lév. 19 :18) « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Cette phrase aussi est de Moïse. (Pourquoi je suis juif ? Les Belles Lettres, p.60)
Ce Dieu exigeait la démocratie et l’égalité de tous devant la loi : kaguer kezrah (Lév. 19 :34) « Il sera pour vous comme un de vos compatriotes, l’étranger qui séjourne avec vous ». Ce Dieu ne voulait pas de sacrifice humain ni hier avec Isaac, ni demain. On ne devait plus tuer au nom d’un dieu : c’était même un blasphème. Le respect de la vie était essentiel. Le Talmud l’exprimait ainsi « Celui qui sauve une âme c’est comme s’il sauvait le monde entier, celui qui détruit une âme c’est comme s’il détruisait le monde entier » Sanhédrin 38a.
Si Adam et Eve sont métaphoriquement les ancêtres de l’humanité dans laquelle nous nous inscrivons, nous, juifs, avons plus spécifiquement comme patriarches et matriarches les premiers hébreux. Abraham et Sarah, Isaac et Rébecca, Jacob Léa et Rachel.
Qu’ont-ils de différents des grands héros des mythes babyloniens ou grecs ? Ils ne sont pas des demi-dieux, ils ne sont pas parfaits, ils ne vivent pas dans l’abnégation. Ils sont normaux, humains. C’est ainsi qu’ils peuvent être des modèles ; nous nous reconnaissons dans leurs défauts, leurs incohérences, leurs mensonges, leur jalousie, et en même temps nous admirons leur courage, leur humanité, leur désir de mieux faire, l’espoir et la promesse qu’ils incarnent. Ce sont eux nos ancêtres, c’est notre histoire qui débute en Chaldée avec une seconde idée révolutionnaire : le monothéisme éthique. Abraham, nous dit le texte, la Torah, la Bible notre texte, notre héritage, instituait un jour de repos hebdomadaire par semaine pour tous, le shabbath qui nous rappelle que nous ne devons pas être esclave du travail
et qu’aucun être humain ne devienne l’esclave d’un autre – la liberté était fondatrice de l’identité du peuple de notre peuple avec la sortie d’Egypte. Si un esclave refusait sa liberté, en signe de son refus, son oreille était percée.
Et si l’être humain était libre cela signifiait en même temps qu’il était responsable de ses actes. Il n’était pas un objet entre les mains des dieux qui s’amusaient dans une histoire répétitive et déterminée comme dans les religions babyloniennes. C’est lui qui était auteur de sa destinée, responsable de ses actes. Il ne naissait pas coupable et donc n’avait pas besoin d’être racheté par un intervenant extérieur ; il ne naissait pas innocent non plus. Il naissait avec un bon et un mauvais penchant yetser hatov yester hara. A lui de faire en sorte que le bon domine sur le mauvais. Voilà quelques-unes des révolutions apportées par le judaïsme et dont nous pouvons être fiers. Les Juifs s’en réclament, s’y rattachent, sont porteurs de ce message au monde, message qui même s’il a été adopté par d’autres, ne cesse d’être bafoué, message qu’il faut sans cesse répéter. Comme le disait le rabbin John Rayner (z »l) : « Il est certain que le judaïsme a fait beaucoup pour l’humanité. Il a chassé l’obscurité du paganisme. Il a révolutionné la compréhension que l’humanité avait d’elle-même. Il a proclamé la sainteté de la vie, la dignité de l’individu, la qualité essentielle de tous les êtres humains. Il a enseigné l’humanité et la compassion, exigé la justice sociale, et s’est attaché avec ténacité à l’espoir que ces idéaux finiraient par s’accomplir dans un âge d’or de paix universelle » (A jewish understanding of the world, p.10).
J’en viens à mon deuxième point : le système pédagogique extraordinaire dont dispose le judaïsme. Les enseignements apportés par le judaïsme ont une valeur éternelle. Ils sont notre héritage mais ils ne sont pas seulement contenus dans un livre. Ils s’expriment dans un système très particulier de lois. Le judaïsme a toujours préféré les actes aux discours. Ces actes mitswoth sont des moyens de transformer la réalité. Les symboles du judaïsme sont des supports ingénieux de véhiculer des idées qui les dépassent, des moyens mnémotechniques pour nous rappeler à ces grandes valeurs. Par ce système, le judaïsme nous rappelle ainsi que nous ne sommes pas que des êtres pensants, éthérés, nous ne sommes pas des anges. Le judaïsme fait appel à tous nos sens pour transmettre ses idées – d’où la multiplicité des rites et des symboles – Quel acte plus inutile, plus mystérieux, que d’allumer une fiole pour signifier l’entrée du shabbath et des fêtes. Et c’est justement cet acte d’ouverture qui nous initie à l’anti-matérialisme, à la recherche de la spiritualité, à la contre-productivité d’un jour où l’on ne fait rien d’utile, de productif, où l’on cesse de créer pour regarder, écouter, s’émerveiller « où l’on quitte le monde de la création pour entrer dans la création du monde » selon les termes du philosophe Abraham Heshel.
Quelle idée plus intelligente que celle inventée par les rabbins du minian, auxquels les champions du marketing n’ont rien à envier : le moi n’est pas tout, il faut être ensemble par petits groupes pour étudier, s’entraider, s’écouter, tisser des liens d’amitié, progresser. C’est l’idée de kehila de communauté, structure de vie qui a permis à nos ancêtres de vivre – mi-chemin entre une humanité trop grande et un individu trop petit – antidote à une société trop individualiste ou trop collective.
Et ce petit bout de pain de misère et de liberté qui s’appelle la matsa, que l’on brise à nouveau pour indiquer le partage, qui nous rappelle que nous avons été esclaves, que certainement nous
le sommes toujours différemment et que le levain que nous chassons peut être l’orgueil ou tout autre chose qui fait disparaître l’essence des choses sous une apparence trompeuse. Et cette soukka qui nous invite à l’hospitalité et nous apprend que nous avons la chance d’avoir un toit tandis que d’autres n’en ont pas. Et cette mapa qui couvre la halla pendant que l’on récite la bénédiction sur le pain pour ne pas froisser la halla en disant du bien de quelque chose d’autre devant elle, tout comme on ne doit pas faire un compliment à quelqu’un devant quelqu’un d’autre. Et ce motsi, remerciement à propos du pain qui nous rappelle que le pain vient du blé, le blé des champs, le champ du Créateur et que de nombreuses mains ont participé à son élaboration jusqu’à ce qu’il arrive sur notre table. Et cette mezouza qui par son parchemin qui y est enfermé nous rappelle que nous aimons l’écriture et que la loi est la même à l’extérieur de la maison qu’à l’intérieur, que les seuils ne sont pas hors-la loi.
Le judaïsme par ses symboles qui parlent plus que de longs discours nous fait entrer dans l’univers du spirituel, émaille notre quotidien de luminosité et nous incite à chaque instant à la réflexion. « Le tort de l’être humain, disait encore A. Heschel, est d’oublier qu’il est un prince ». C’est dans la nourriture, dans les aspects les plus matériels de notre vie que la spiritualité pointe son nez. Rien n’est magique – tout est pensé. Il ne s’agit pas de nier le matériel, les désirs et les passions comme dans certaines traditions orientales, ni de dire que le monde des idées est meilleur que celui de la matérialité. Pour le judaïsme, le spirituel peut-être trouvé dans le matériel. Rabbenu Tam, petit-fils de Rashi disait qu’il fallait prendre un bon vin pour réciter la bénédiction. Lorsque l’on voit un beau paysage l’on doit dire : Béni sois-Tu Eternel notre Dieu, roi de l’univers ossé maassé bereshith pour les merveilles de la nature. L’amour et l’amitié entre les êtres humains sont aussi l’objet de remerciements ; le quotidien est source d’émerveillement. Le judaïsme, poursuit John Rayner « peut vous enseigner comment
distinguer entre le bien et le mal, comment choisir ses priorités, comment établir des relations durables avec sa famille et au-delà de sa famille. Il peut vous rendre sensible aux mystères au-delà des lieux communs. Il peut éclairer les moments importants de la vie, depuis la naissance jusqu’à la mort. Il peut sanctifier la routine journalière par la poésie du symbolisme. Il peut donner à votre vie, un sens et un but, un schéma et un rythme, beauté et joie ».
Le judaïsme est donc pour nous un lien à l’histoire, au passé, à nos ancêtres, à la révélation du mont Sinaï. Par ses lois, ses actions, ses commandements, il présente une pédagogie extraordinaire qui a sans doute été un des secrets de sa survie. Rappelons-nous l’exemple des marranes qui continuaient à allumer des bougies le vendredi soir sans savoir pourquoi et dont les descendants reviennent vers le judaïsme. Ce sont souvent ces actes, ces rites qui ont permis la survie de l’identité juive. Le passé est garant de l’avenir. Et j’en viens à mon troisième point: le judaïsme nous aide aussi à construire l’avenir.
Tournons-nous un instant vers l’Hébreu, la langue de nos ancêtres, la langue de notre peuple. Voici ce qu’en dit Edmond Fleg lorsqu’il en découvre après des années sa signification : « Ces mots dont j’avais entendu si souvent, durant mon enfance, prononcer les syllabes étranges, ces mots dont le sens m’était resté fermé, s’ouvraient maintenant, tout à coup devant moi, comme des portes qui s’ouvriraient sur des trésors. Et ce n’était pas seulement leur signification qui m’éclairait, mais aussi l’âme qui se dégageait d’eux, reflétant tout un monde, celui de mon père, le mien, dans la transparente filiation des dérivés d’une même racine, dans la structure rudimentaire de la phrase, dans l’illogique incohérence des images, dans l’impuissance à exprimer l’abstraction pure, dans les contours imprécis du verbe qui, distinguant à peine le passé, le présent et le futur, semble se mouvoir dans l’éternité ». (Pourquoi je suis juif ? Les Belles Lettres, p.54). En hébreu, le passé se transforme en futur, le futur en passé par une lettre qui précède le verbe et le présent n’existe pas. Cette fluidité des temps, l’absence des voyelles, nous incitent à aller à la fois vers l’essentiel et vers l’interprétation. Son étude pour comprendre le judaïsme est incontournable. Prenons l’exemple du mot « foi » qui n’existe pas en hébreu. Le mot qui a été souvent traduit par foi est emouna, de la racine amen, j’adhère ou emeth la vérité. Les rabbins nous disent que le mot emeth est composé de la première lettre de l’alphabet, de celle du milieu et de la dernière. La vérité est donc ce qui était, est et sera. Il ne s’agit donc pas d’une vérité scientifique qui peut être démentie à tout moment par une autre vérité scientifique plus récente. Il s’agit d’une vérité morale qui dure dans le temps comme la pierre, autre racine de ce mot. La emouna est donc liée à la pierre, ce qui résiste au temps, elle témoigne d’une adhésion éthique et surtout d’une confiance bien différente d’une foi aveugle. Le juif ne croit pas, il a confiance ! En quoi a-t-il confiance? En l’avenir, en le progrès de l’être humain, en la possibilité infinie de se surpasser, de se dépasser, en l’espoir de temps meilleurs, en la réparation du monde, en la justice, au rêve. Peut-être que la emouna c’est sa capacité à rêver.
Le principe corollaire de la emouna est la teshouva, cette idée formidable d’un rebondissement possible après l’erreur. La teshouva qui se fait quotidiennement mais plus particulièrement pendant ces yamim noraïm, est fondée sur l’idée de l’absence de perfection humaine : « Il n’existe personne qui soit suffisamment bon pour ne jamais transgresser dit Kohéleth (7 : 20) ». Et avec elle de la possibilité de revenir shouv sur le passé et de grandir à partir de sa faute. L’être humain n’est jamais enfermé dans son passé, condamné dans une réputation. Il peut changer, se perfectionner. Ainsi entre la vie et la mort, nous avons la faculté d’écrire notre propre rouleau de la Torah.
La terre nous est donnée, c’est nous qui modelons la sculpture. Rappelons-nous lorsque Dieu dit à Abraham: « lekh lekha » va pour toi, Dieu ne lui indique pas sa destination parce que l’important c’est le voyage.
Pourquoi rester juif ?
Le judaïsme est un trésor de sagesse, a une pédagogie unique, une force éthique qui aide à la transformation du monde tout en vivant dans l’appréciation de tous les instants. « Le judaïsme, écrit le rabbin John Rayner, est une force civilisatrice dans l’histoire humaine, et bien que cela ne soit pas la seule, le monde ne peut pas se permettre de la perdre. Car la civilisation est fragile, posée délicatement au-dessus de l’abyme de la barbarie » et il cite Edmond Fleg :
« Je suis juif, parce qu’en tous lieux où pleure une souffrance, le Juif pleure. Je suis juif, parce qu’en tous temps où crie une désespérance, le Juif espère.
Je suis juif, parce que la parole d’Israël est la plus ancienne et la plus nouvelle. Je suis juif, parce que la promesse d’Israël est la promesse universelle.
Je suis juif, parce que pour Israël , le monde n’est pas achevé : les hommes l’achèvent. Je suis juif, parce que pour Israël, l’Homme n’est pas créé : les hommes le créent.
Je suis juif, parce qu’au-dessus des nations et d’Israël, Israël place l’Homme et son Unité. Je suis juif, parce qu’au-dessus de l’Homme, image de la divine Unité, Israël place l’Unité divine, et sa divinité ».
Sachons-donc rester juif !
Rabbin Pauline Bebe