Shabbath ha-‘hodesh – 23 Mars 2012 (soir)
Vous le savez, il est rare que je parle de l’actualité dans mes drashoth (1), pensant qu’à la source jaillissante des paroles de la Torah, vous trouverez comme moi une inspiration pour votre vie quotidienne et puis parce que la synagogue est comme un havre de paix qui nous protège du monde extérieur ; le Shabbath nous donne un surplus d’âme neshama yetera (2) qui nous illumine comme les bougies du Shabbath. Je ne vais pas manquer à la règle et je vais parler de Torah mais en la liant davantage cette fois à une actualité qui interroge, secoue, scandalise, nous fait verser des larmes, nous déchire.
Vayikra (3), « il appela », comment se fait-il disent les rabbins que Dieu ait eu besoin d’appeler Moïse ? Moïse son serviteur bien-aimé, à qui il avait parlé panim el panim (4) face à face, n’était-il pas attentif, à l’écoute, tout ouïe ? Fallait-il que l’Eternel l’appelle pour qu’il lui prête l’oreille, qu’il entende, qu’il le comprenne ? Peut-être était-il trop occupé à écrire le détail de la loi pour entendre ce que Dieu avait à lui dire ? Moïse a-t-il sursauté comme un élève endormi que l’on sort brutalement de ses rêves pour l’éveiller à une réalité qu’il fuit ?
Alors peut-être que nous aussi sommes sourds à des appels parce que trop persuadés de notre bon droit, dans un confort douillet de nos convictions ronronnantes –il est des moments où il faut appeler, crier, ne pas laisser faire, ne pas laisser dire.
Ces derniers jours, des enfants et des adultes ont été monstrueusement assassinés parce qu’il étaient juifs, musulmans, noirs, parce que dans l’esprit d’un fou fanatique certains ont été au service d’un état démocratique pour lutter contre le terrorisme, pour les autres par pur antisémitisme. Cet homme est mort, et de même que nous ne devons pas nous réjouir de la mort des Egyptiens qui eux aussi ont tué des enfants, nous ne devons pas nous réjouir de la mort d’un ennemi. Ne pas nous réjouir non plus parce qu’au-delà d’un homme qui fait grimacer le visage de l’humanité, le fondamentalisme n’est pas éradiqué. Qu’il ne s’agit pas d’une communauté qui a été victime comme on a pu l’entendre dire mais de toute la communauté humaine qui a été frappée. « Lorsque l’on sauve une vie, c’est comme si l’on avait sauvé le monde entier dit le Talmud(5), et aussi lorsque l’on tue une vie, c’est comme si l’on tuait le monde entier ». Alors non, on en fait pas « trop » pour des enfants qui ont été poursuivis au sein même de leur école, pour des familles qui ont été plongées dans la tragédie d’un instant à l’autre et qui ne pourront plus jamais reprendre le cours de leur vie de la même façon. Nous pleurons avec elles les rires que l’on entendra plus, les sourires que l’on ne verra plus, et nous pleurons la défiguration du monde par de tels actes.
Nous ne pouvons accepter que ces morts soient banalisées, nous ne pouvons accepter que de tels actes soient commis au nom d’une religion quelle qu’elle soit, et les perpétrer en mentionnant le nom divin est un blasphème. Nous ne pouvons assimiler des croyants respectueux de la vie humaine avec des fondamentalistes terroristes qui ne cherchent qu’à détruire. Nous partageons l’angoisse de tous ces parents qui ont peur de voir leurs enfants être séduits, détournés, embrigadés dans ces mouvements qui prône la haine, le mensonge et la destruction.
Pourquoi le alef (6) de Vayikra est-il plus petit ? Peut-être parce que chaque fois que l’ombre, l’obscurantisme gagne sur la lumière, la réflexion, la pondération, l’alef (7) de Dieu se rétrécit, l’être humain foule les pieds de la Shekhina (8), comme en nous même notre humanité se rétrécit, l’étincelle divine vacille. Alors c’est à nous d’appeler – vayikra (9) -, de réveiller nos consciences pour clamer haut et fort que l’éthique vaincra sur la violence, que le sort de chaque être humain quelle que soit sa couleur de peau, ses convictions, sa religion, son origine, que le sort de chaque être humain est de notre ressort, que nous ne pouvons fermer les yeux, boucher nos oreilles devant la souffrance, l’injustice, l’iniquité. Mon prochain me concerne, je suis le gardien de mon frère (10). Nous devons lever la voix, vayikra, nous devons être vigilants à la parole, aux actes, aux pensées qui s’infiltrent sournoisement dans nos cœurs pour les rendre de pierre, nous devons nous rappeler à notre humanité, rappeler l’autre à son humanité. C’est notre devoir de juifs, c’est notre devoir d’être humain. Que la lumière du Shabbath apporte le réconfort aux endeuillés et la force à l’humanité de se relever.
Rabbin Pauline Bebe
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1 Sermons
2 âme supplémentaire
3 Lév. 1:1. Premier mot du texte lu cette semaine dans la Torah (parasha)
4 Ex.33:11
5 M. Sanh.5:5
6 La dernière lettre du mot est écrite sur la parchemin de la Torah dans une écriture plus petite que les autres
7 La lettre alef a été souvent associé à Dieu et au chiffre 1
8 La Présence Divine
9 Il appela-Lév.1.1
10 cf. Gen.4:9 où Caïn qui vient de tuer Abel dit : « Suis-je le gardien de mon frère ?